Voyage sur la D 955 – Alençon, Nogent-le-Rotrou, Châteaudun, Orléans

  • 10 avril 2015

La route départementale 955, ce fut, pour moi qui habitait dans le Perche durant mon enfance, la route de la modernité, en comparaison de petites routes dans des paysages immuables avec le temps : ces collines et leurs villages hors du temps du Perche, comme Chapelle-Guillaume, Le Gault-du-Perche où il semblait que personne ne vienne ni ne passe.

En revanche, cette route, que je pouvais emprunter pour aller voir mes grands-parents, avait un air de vacances d’une route filante à l’horizon lointain, avec la rectitude parfaite de ses lignes discontinues. C’est ce qui se voit à l’ouest de Châteaudun dans un entre-deux entre le Perche-Gouët et la Beauce. sur ce qui est presque la Beauce. Ici, tout était différent du Perche rural : une route avec des lignes au milieu mais surtout au bord, avec des noms de ville lointains affichés en vert, à savoir Orléans et Alençon, qui représentaient le début du voyage. Je pourrais penser différemment aujourd’hui car j’ai fait ma route et connu divers endroits différents mais hier, cela contrastait beaucoup avec les paysages mornes du Perche ou alors de la gâtine du Perche Goüet desquels je ne pouvais guère bouger.

Cet article a pour vocation de vous faire voyager à travers un axe secondaire important entre Normandie et Orléanais, à travers le Perche et la Beauce du sud de l’Eure-et-Loir et de ses départements limitrophes, entre Alençon, Mamers, Nogent-le-Rotrou, Brou, Châteaudun et Orléans, sur l’ancienne route de Saint-Malo à Orléans (N. 155), aujourd’hui D. 955 voire D. 311 lorsqu’elle traverse le département de la Sarthe.

J’en connais par coeur trois portions, et je connais le reste aussi :

– immédiatement à l’est de Nogent, la petite partie empruntée pour nous rendre et revenir vers Nogent, depuis et vers le canton d’Authon-du-Perche ;

– La partie de Nogent à Châteaudun, empruntée à l’aube un dimanche matin d’août, pour aider à la brocante de Nogent, qui serpente et fait découvrir le Perche aux environs de Beaumont-les-Autels,

– Parmi cette partie, la partie de Brou à Châteaudun, où se termine la Beauce, à travers les immensités du paysage et les voies rectilignes, qui contrastait autant avec le morne Perche Goüet qui était le mien,

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Il y a aussi la partie Alençon-Nogent, peut-être empruntée ne serait-ce qu’une fois, et la partie Châteaudun-Orléans, traversée parfois au cours de mes travaux dans l’agriculture dans la Beauce, et empruntée en totalité au moins une fois pour des vacances dans le Massif central, elle est aussi pittoresque qu’elle est dégradée. Toutes ces routes seront abondamment décrites. L’article ne sera pas fini immédiatement. J’espère qu’il vous plaira.

De Châteaudun à Orléans

Nous voilà lancés pour la dernière partie de notre voyage à travers une des plus typiques plaines de la Beauce.

Lorsque l’on est dans le centre de Châteaudun, à l’urbanisme rectiligne issu de la planification royale après le triste incendie survenu au XVIIIème siècle, on ne peut que constater la platitude de la ville en la quittant par l’est. La rue de la République, anciennement rue d’Orléans, se caractérise en effet par son aspect rectiligne.

Sur la carte postale ci-dessous, on voit par les alignements d’arbres au loin, que la campagne beauceronne n’est pas loin. La rue de la République est, comme elle l’était, une rue commerciale importante.

On croise en équerre Ie boulevard Toutain et le boulevard Grindelle, qui absorbaient le trafic de la N10 pendant 40 ans et jusqu’en 2008, longeant la voie de chemin de fer. Il faut ajouter, à quelque distance, l’usine GSP et le quartier militaire Kellermann. Ces multiples barrières divisent la ville entre le centre et l’ouest, commerçant, patrimonial et favorisé, et l’est en discontinuité, avec ses « nouveaux quartiers » et notamment Beauvoir.

 

Seule la route d’Orléans fait le lien. La municipalité sous ses étiquettes successives, tente un travail de couture urbaine : médiathèque, éloigement du trafic de la N10, halle de rencontre sur une friche SNCF, renovation du quartier Beauvoir, offre bus repensée, maîtrise foncière de l’ancienne GSP, de l’ancienne caserne pour des projets urbains d’envergure.

Le boulevard Kellermann est un des axes principaux des quartiers à l’est de la ville. Il fait tronc commun avec la route de Pithiviers puis bifurque un peu à droite vers Orléans à la sortie de la ville. Il longe la caserne Kellermann, quartier militaire du XXe siècle, après le quartier Brack, l’armée ayant toujours été bien implantée dans la ville. Jusque dans les années 1960, l’espace était moins construit, typique d’une « fin de ville » d’alors.

Le boulevard Kellermann devient un axe périphérique et de lien des nouveaux quartiers de Châteaudun à partir des années 1960 avec ici deux petites tours modernes.

La ville se termine par une zone d’activité dite de Vilsain. La présence partielle d’une deux fois deux voies m’évoque l’importance du « tout-automobile » des années 1980.

Juste après, on tombe sur le carrefour avec l’actuelle D 927, qui ici va tout droit. La route d’Orléans bifurque. Ici en 1962, les aménagements semblaient sommaires, avec notamment pas de signalisation horizontale.

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C’est vers 1980 que le carrefour est aménagé

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La construction du deuxième supermarché Intermarché de la ville font modifier environ 10 ans après ce carrefour en un rond-point.

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Ce petit Intermarché de Vilsain en comparaison à l’autre, ferme dans les années 2010, dans une cohue qui fera les choux gras de la presse locale.

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Et puis quand on quitte la ville, après l’impressionnante prison, aux conditions connues pour être difficiles, avec des détenus de toute la France, on passe sous l’avion « mirage » de la base aérienne, ce qui peut être impressionnant.

Ils auraient pu choisir de faire passer la déviation de la N 10 de Châteaudun à l’ouest comme prévu dans les années 70, pour voir le château, l’éperon rocheux de la ville, mais on ne verra souvent de Châteaudun, que les éléments cités et la zone d’activité de Vilsain, et aussi l’hôpital, et les nouveaux quartiers.

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A proximité de la base, il m’y est arrivé d’y être survolé à basse altitude par un avion militaire. En fait, ils le font rarement, mais ils assourdissent la région.

Juste après Châteaudun, la route passe près du petit village de Lutz-en-Dunois. Il suffit que je n’aille à qu’une seule fois à Lutz-en-Dunois lors d’une brocante en 2003, pour que je retrouve une carte postale de ce moment avec son artisan charcutier. Lors de ces brocantes d’été, ou de juin, ou tape l’écrasant soleil de Beauce.

Voici donc environ cinquante kilomètres en ligne quasiment droite et ponctués de quelques villages beaucerons jusqu’à Orléans.

Passent plusieurs villages, le premier étant Villampuy, c’est aussi le dernier d’Eure-et-Loir. La Beauce ne paraît peut-être nulle part autant immense qu’ici, au milieu de nulle part, et de cette ligne droite. On voit bien un océan, de blé ou de n’importe quelle culture. Le stade de foot que l’on voit ici est certainement le seul oasis pour un enfant qui habiterait le village, où le sol est entièrement dévolu à la production agricole industrialisée. Je n’avais longtemps pris cette route qu’une seule fois étant enfant, à 9 ans, pour aller en vacances en montagne dans le Forez près de Saint-Etienne. Les noms des villages m’évoquent le voyage, la longue plaine de la Beauce, océan étendu, était déjà un voyage. On trouve souvent la citation que « Il n’y pas de chemin qui mène au bonheur, le bonheur est le chemin ». Enfin, j’aurais retrouvé ce village vers l’âge de 22 ans lors de mes « jobs d’été » à trier des pommes de terre dans des champs divers de la région et par exemple près d’ici à Villamblain. Cette bourgade beauceronne de Villampuy voit résider Patrick Nzonzi, acteur dans Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et Les Visiteurs 3. Il dit notamment à « L’Echo Républicain » : « J’ai trouvé à Villampuy quelque chose qui me ressemble, car j’aime bien me sentir seul, pour voyager à l’intérieur de moi. Je me sens Beauceron. On dit d’eux que ce sont des gens fermés, mais c’est comme les huîtres, il suffit de savoir les ouvrir. »

Ci-dessous, une comparaison du village de Villampuy entre les années 1950 et 2010.

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 Le vendeur « Villette » s’enorgueillit de ses plus de cent ans d’expérience, et d’une simple bande d’asphalte, la route est améliorée avec notamment une signalisation horizontale et un tourne-à-gauche dans tout le village.

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Encore une brocante d’un chaud dimanche d’été où tape le soleil assommant de Beauce, certainement à Villampuy, en 2009, au moment de mon job d’été.

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La Beauce à 7 heures du matin, ici, à Péronville ou ailleurs. Tôt le matin, et tard le soir, dans un autre secteur vers Sougy et Artenay, on pouvait apercevoir les lumières d’Orléans.

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Le village suivant, dans le Loiret, porte le nom particulier de Tournoisis. Je m’en suis souvenu, lors de cette route de vacances d’enfance vers la montagne, comme d’un premier dépaysement.

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Le dernier village traversé avant Orléans est Saint-Péravy-la-Colombe.

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Comme dans tous les villages, et notamment du fait de sa situation périurbaine à Orléans, des zones pavillonnaires se sont construites et continuent à le faire. Depuis les années 1960, d’une route simplement goudronnée, on est passé à une signalisation horizontale partout, pour sécuriser le trafic.

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L’histoire de cette plaine recèle d’évenements troubles. C’est dans ce secteur, à proximité de Patay, qu’une féroce bataille opposa les Anglais et les Français durant la guerre de Cent ans. Les survivants anglais furent poursuivis à travers champs et massacrés, comme il est écrit sur une pancarte à visée historique près de Patay. Enfin, dans la plaine, et comme près de Châteaudun, il fut aisé d’installer les premiers terrains d’aviation, à visée militaire. C’est ainsi qu’avant 1939, la route fut déviée et forme ce long virage peu avant Orléans, contournant la base aérienne de Bricy.  L’ancienne route qui existe partiellement est ici visible, restée rectiligne, et on se rend compte, en comparaison des faibles infrastructures qui prévalaient tout au long du XXe siècle.

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L’amélioration des routes est la compétence des départements. La route d’Orléans à Châteaudun et au-delà, n’étant pas d’un intérêt primordial comme elle peut l’être en Eure-et-Loir, elle semble autour de Bricy, moins roulable que les longues lignes droites au bitume toujours neuf autour de Châteaudun.

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A proximité de cet endroit, la traversée de la Beauce est terminée avec l’entrée dans Ormes, à l’extrémité ouest de la banlieue d’Orléans. Ce sera à ce moment pas moins de dix kilomètres urbanisés jusqu’au centre d’Orléans.

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Loin dans l’agglomération orléanaise, à la limite de la Beauce, Ormes est néanmoins desservie par une ligne structurante des transports en commun de l’agglomération.

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C’est donc à la fin de l’agglomération que se séparent les routes d’Orléans à Saint-Malo/Alençon et Orléans (anciennement N 155) à Rennes/Le Mans (anciennement N 157). Initialement la route qui rejoint le centre d’Orléans reste la N 155 puisque son trajet est rectiligne. Mais après la réforme des années 1970, seule la N 157 reste une route nationale. A partir de ce moment, le reste du trajet jusqu’au centre d’Orléans devient N 157. Dans cette continuité, le déclassement de 2006 la renomme D 2157. Ci-dessous l’ancien carrefour, et l' »ancienne route du Mans », déplacé vers 1988, en limite d’urbanisation.

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Le carrefour des routes d’Orléans (en haut, où la voie s’élargit) à Rennes (à droite) et à Saint-Malo (en bas) en 1922, près de fermes.

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Le même en 1961, avec un peu plus de maisons :

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Puis le déplacement du carrefour routier intervient en 1988 en raison de l’aménagement d’une route vers Saran, sa zone d’activité et son péage autoroutier. Un feu tricolore est installé jusque vers 2000, puis un giratoire.

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Le carrefour routier actuel des routes du Mans et d’Alençon, et le début de la D 955.

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L’urbanisation le long de cette « route nationale » s’est développée sur la majeure partie des 10 kilomètres urbains, aux XIX et XXe siècles, sur les communes d’Ormes, Ingré, l’ancien lieu-dit Moulin-Choix, Saint-Jean-de-la-Ruelle et Orléans. La voie de Saran, la tangentielle ouest et les boulevards entourant le centre d’Orléans incitent les conducteurs à ne plus utiliser cet axe en sortie d’Orléans pour le laisser au trafic local. Au début du XXe siècle, la route était longée par un tramway, ce qui explique peut-être sa relative largeur.

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L’entrée d’Orléans par le faubourg Saint-Jean.

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Le croisement avec les boulevards de ceinture marque l’entrée dans le centre-ville d’Orléans. Le bâtiment à droite, qui est en cours de démolition, porte une plaque indiquant le début de l’ancienne route impériale n°155 et la distance à Saint-Péravy-la-Colombe notamment.

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Deux rues rejoignaient le centre d’Orléans et terminent la route d’Orléans à Saint-Malo : la rue des Carmes par la rue Porte-Saint-Jean :

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et la Place du Martroi par la rue d’Illiers. Florent d’Illiers, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, annonçait la venue de la Pucelle d’Orléans. Selon la chronique du siège, en 1429, « arrivèrent […] dedans Orleans, un capitaine moult renommé […] et avecque luy le frere de La Hire, accompaignez de quatre cens combattans, qui venoient de Chasteaudun », passant les lignes anglaises. Illiers-Combray comme Châteaudun, étant en ligne droite de l’actuelle rue d’Illiers. La place du Martroi fut appelée ainsi parce qu’elle était le lieu de nombreuses exécutions. En juin 1940, la façade ouest de la place et le début de la rue d’Illiers furent gravement touchés par les bombardements.

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